La vie d'aventure m'a complètement démolie

J’étais si occupée que je n’ai rien vu défiler. Quand le soleil s’est-il levé? Toute cette neige, mais quand sont tombés les premiers flocons? Quand a-t-on vu le gazon de nouveau? Et ces fleurs, comment se fait-il que j’aie sauté la période des bourgeons? Cette ride dans le front de ma mère, quand s’est-elle dessinée? Et ses cheveux gris, comment ça se fait que je ne les ai pas vu apparaître?

Où est-ce que j’étais passée toutes ces années?

Je n’avais pas le temps.

Pas le temps de regarder dehors, pas le temps de simplement m’asseoir et respirer, pas le temps de ne rien faire, pas le temps de prendre le téléphone pour appeler ma mère, pas le temps de ralentir, pas le temps d’aller visiter ma grand-mère ni de jaser avec cet inconnu.

Jusqu’à ce jour-là, j’étais surchargée.

Les agents de bord annoncent la fermeture des portes. Le nez dans le hublot, nous partons à reculons, on s’éloigne peu à peu de l’aéroport pour finalement le perdre de vue. L’appareil roule tranquillement sur la piste vers la droite, puis la gauche pour finalement s’immobiliser.

Tout se met a vibrer sous mon corps, la fébrilité m’envahit, l’appareil fonce droit devant, les roues tournent à cent milles à l’heure sous nos pieds, le nez de l’avion se lève, je me sens caler dans mon siège, les muscles de mon cou tendus car je tente de garder ma tête droite, je sens les roues se ranger dans le compartiment sous mes pieds, puis le bruit s’atténue. On plane. Je souris de l’intérieur, quelle sensation incroyable cela me procure t-il à chaque fois.

Seule avec moi-même, survolant l’Atlantique, entourée d’inconnus qui n’ont aucune idée de qui je suis et loin de tout ce que j’ai toujours connu. À travers les années de voyage, j’ai apprivoisé cette idée de page blanche, aujourd’hui, j’en suis amoureuse.

Cette curiosité, cette perte de contrôle, c’est elle qui guide ma vie depuis des années déjà.

Voyager, c’est accepter de devenir la minorité, accueillir la vulnérabilité palpable lorsqu’on se retrouve seul face à l’immensité du monde.

Nul ne peut réellement voyager sans laisser son égo à la douane. Certes, nous pouvons visiter plusieurs pays du monde, mais l’aventure ne se révèle qu’à celui qui laisse tomber les voiles de leurs croyances avant de monter à bord.

Alors que l’égo tente de définir, d’expliquer et de contrôler, le voyage se contente d’accueillir, de contempler et de laisser venir.


La vie est douce & la beauté est dans l’impermanence des choses. Le courant fluide d’une rivière, le bourgeon qui devient fleur, la fleur qui devient l’humus, l’humus qui devient Terre. Nous utilisons la rigidité, la solidité du matériel pour oublier que rien n’est permanent. Désirer davantage nous conforte. Nous nous enfermons dans des croyances, redressons les murs de nos frontières personnelles afin de solidifier ce que nous croyons être, inébranlables.


Jusqu’au jour où on se retrouve face à l’inconnu.

Jusqu’au jour où les portes de l’avion se fermeront pour nous livrer à l’autre bout de la Terre sans repères.

Jusqu’au jour où l’imprévu s’invitera dans notre vie.


Alors que nous cherchons à solidifier l’image de nous-même à travers un quotidien qui nous cristallise un peu plus chaque jour, à accumuler pour réduire toute fluidité et à s’emboîter dans le tangible pour supporter cette réalité que nous nous sommes créée, l’aventure nous démoli. Elle fracasse nos idées préconçues et sans pitié, elle écrase tout ce que nous croyons être.

C’est probablement pour cela qu’elle effraie tant les gens, puisqu'au centre d’un monde planifié, elle nous transporte vers l’impermanence, le mystère et l’inattendu. Que de fraîcheur!

Vous êtes vous déjà retrouvé en minorité, confronté à une culture qui était l’opposée de la vôtre, sans repères ni personne pour acquiescer vos idées? Nous tentons de rester rigide face à l’inconnu, or ce sont les arbres qui plient dans le vent qui s’adaptent le mieux aux conditions de la vie.

Tout comme les épreuves de la vie, l’aventure nous mets au défi et ce en réduisant l’image que nous avons de nous-mêmes. C’est sans pitié qu’elle jette à l’eau ces masques auxquels on s’était identifié durant toutes ces années. Arrivé à cet instant où tout ce que nous avions toujours désiré, des études, de l’argent, des contacts professionnels et des objets matériels, ne nous sera d’aucune utilité, qui serons-nous?

Qui seras-tu sans toutes ces choses auxquelles tu t’es identifié durant des années?

Qui seras-tu sans toutes ces étampes sur ton passeport? Sans tous ces meubles dernier cri dans ta grande maison? Sans toutes ces années d’études derrière toi? Qui seras-tu lorsque tu réaliseras que tes valeurs valent plus que ton look, ta profession et le status que tu t’étais donné?

Serions-nous capable de débarquer sur un territoire où notre couleur de peau, nos vêtements, notre profession et notre compte de banque n’intéresseraient personne? Qui verrions-nous dans le miroir sans tous ces voiles?

L’imprévisible fait peur lorsqu’on travaille si dur à contrôler l’entièreté de ce qui nous entoure.

L’aventure est incontrôlable et dès que l’on tente de la définir, elle nous traîne dans la direction opposée. Tentez de retenir le temps, et l’impermanence du moment vous glissera entre les doigts. Un jour ou l’autre, les gens partiront, nous partirons et peu importe le prix payé pour la boîte ou le vase dans lequelle nous serons enfermée, nous redeviendrons terre que nous le voulions ou non.

Et si on écartait la peur & qu’on laissait la curiosité guider nos vies.

Et si nous acceptions que demain est imprévisible

Et si on s’autorisait à vivre l’aventure aujourd’hui plutôt que demain

Et si nous abandonnions le contrôle & laissions la vie suivre son cours sans tenter de la dominer

Et si nous laissions à l’aventure, la liberté de nous démolir

Bon voyage xx

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