Voyager en toute humilité
Empanadas de pollo! Empanadas!
De tous les côtés passent des hommes et des femmes, un chariot ou un panier à la main, ça sent la pâte cuite, le pain frais, les plantains frits. À partir du premier chant des coqs qui résonnent dans la vallée dès l’aube, l’oreille n’a pas de répit jusqu’à la nuit.
Dans les rues de Granada, ça crie, ça siffle, ça klaxonne et rit aux éclats. Ici, le silence paisible, ça n’existe pas.
Un chaos organisé digne d’une fourmilière.
Le soleil du petit matin rebondi sur mon visage, une tasse de café frais & velouté entre les mains, je contemple cette féerie qui défile autour de moi. Assise au beau milieu de la rue des terrasses à Granada, j’écoute cette symphonie perpétuelle, ça sent la vie à plein nez. Ici, l’énergie est palpable. Les vibrations de la ville provoquent un sourire constant sur mon visage.
Quelle liberté que d'être une simple étrangère!
Quelle liberté délaisser nos rôles du quotidien, pour entrer dans la pure contemplation.
Quelle liberté de se sentir toute petite alors qu'à la maison, on se sent si grande!
Quelle légèreté de pouvoir être soi, loin de toutes obligations le temps d’un voyage.
Tenter de balbutier la langue locale, laisser les gens être amusés par notre accent, se faire observer de haut en bas pour notre tenue qui peut sembler étrange pour l’autre. L’inconfort c’est aussi ça, voyager.
Quand je suis partie vivre en Amérique latine la première fois, le choc m’a frappé.
Du haut de mes vingt ans, n’ayant jamais remis en question ma façon de vivre, la différence m’a frappé de plein fouet. C’est comme si après avoir été autocentrée depuis si longtemps, axée sur mon petit monde, cloîtré dans mon quartier, ma ville, mon pays…je me voyais enfin dans l’oeil de l’autre.
C’est là, que tout a commencé.
Je me revoyais moi, ma vie, mes objectifs, mon entourage, d’un oeil nouveau.
Devenant tout à coup la minorité dans un pays qui n’était pas le mien, étant celle avec un style vestimentaire différent et une façon de s’exprimer un peu empotée, d’autres choix ne s’offraient à moi que celui de revoir mes convictions, mes croyances & ma façon de vivre.
Après avoir vécu pour la première fois hors du Canada, au rythme du soleil, sans alarme ni sonnerie stridente qui venait briser la douceur du matin, en harmonie avec la saison sèche & celle des pluies, j’ai compris la lourdeur encouragée en occident, de courir comme des poules sans tête du matin au soir, du printemps à l’automne, jour après jour, année après année. Dans quel but?
Si seulement nous prenions le temps, le luxe d’arrêter et d’y méditer. Si seulement, nous prenions le temps à la maison, de contempler la vie une tasse de thé à la main. Et si sur terre, la vraie richesse c’était le temps? Et si nous réalisions que l’impermanence était la base de la beauté de la vie.
Or, dans une partie du monde où il est bien vu d’être occupé, et ce même lorsque notre santé est en jeu, difficile de prendre cet arrêt sans calculer nos ‘‘pertes’’ de production, financière, temporelle ou autre.
C’est lorsqu’on se retrouve en minorité, avec une mentalité qui ne fait pas l’unanimité, seul face à soi-même devant le miroir que les autres tiennent vis-à-vis nous, lorsque la personne que l’on croit être et le succès que l’on croit avoir là-bas n’impressionne personne ici, que le lustre de notre prétendu prestige jaunit.
Encore faut-il oser se regarder.
Mais qui ne sait se remettre en question ne devrait pas aspirer à découvrir ‘‘l’autre’’ ni soi-même, il le verra toujours à partir de ses propres lunettes teintées de ce qu’il croit être la vérité. La vérité selon les siens.
Aucune étampe ne suffira pour celui qui fait le tour du monde les yeux fermés.
Aucune étampe ne suffira pour celui qui voit le voyage comme un bien de consommation supplémentaire.
Qu’est ce que l’immensité de la diversité grouillante de notre planète, si ce n’est que beauté?
Ce qui rend le voyage si unique, c’est de réaliser tout ce qu’on a à apprendre, à voir, à ressentir, à goûter…
Ce qui rend le voyage si exceptionnel, c’est de voir que malgré nos différences, aussi grandes semblent-elles, nous sommes tous les mêmes fondamentalement.
Une leçon du voyage de la vie? Celui d’apprendre à retirer ce poids de nos épaules qui nous pousse à toujours vouloir plus et enfin réaliser que ce qui fait notre valeur, ce n’est pas les frivolités qui encombre nos vies et nos maisons, mais ce qu’on a dans le coeur.
Partir loin aide permet parfois de réaliser le vide, le non-sens et l’absurdité totale de notre mode de vie de consumérisme occidental.
N’est-ce pas contre nature de définir la valeur d’un être humain en chiffre? Combien gagne-t-il? Est-il productif? Combien de diplômes? Combien d’années d’étude? De voitures dans son entrée? D’ailleurs, combien as-tu d’étampes dans ton passeport?
Tu veux te sortir de ce mode de pensée? Tu veux briser ce conditionnement? Alors, pars.
Pars là où personne ne pense comme toi.
Pars là où tu ne seras peut-être pas le bienvenu.
Pars là où tout t’es inconnu.
Pars là où tu n’auras pas à prétendre être ce que tu n’es pas.
Pars là où tu pourras laisser tomber ces voiles que ta société a apposés sur toi à ton insu.
Pars si loin que tes croyances ne sauront te suivre.
Bon voyage xx