Voyager, sans but précis
À travers mes paupières, je sentais la chaleur du soleil réchauffer mes yeux. Le souffle humide et salin du sud caressait ma joue, puis mon cou, faisant virevolter quelques de mes cheveux décolorés par le sel de la mer.
Au rythme de la houle qui se retire, un filet d’air passe à travers mes narines pour remplir mes poumons. La pression de mes coudes sur mes genoux enfonçait mes pieds dans le sable, laissant les grains se frayer un chemin pour se loger entre mes orteils.
Je laisse les sons voyager librement à travers moi. Au loin, des rires d’enfants, des aboiements puis une vague qui déferle à la cadence de mon expiration. À travers ce souffle, se libèrent de moi les tensions dans ma poitrine et les muscles du haut de mon corps se relâchent.
Mon regard s’ouvre, embué, laissant une larme glisser le long de ma joue. Mon esprit est clair et calme, je souris malgré moi. Tant de sensation me traverse à cet instant, mais aucune ne s’empare de moi. Elles passent, puis poursuivent leur route, tels un nomade et son sac sur le dos.
Nul ne sert de les nommer, pas la peine de leur attribuer des mots et de les analyser. Cela réduirait cet instant riche qu’en un concept futile et tangible. L’ouverture et la présence à elles seules suffisent pour enrichir et amplifier l’abondance de ce moment.
Qu’est-ce que voyager si ce n’est pas être en pleine présence dans l’instant?
Qu’est-ce que voyager si ce n’est pas s’ouvrir aux nouvelles odeurs, saveurs & à d’autres façons de vivre?
Définir le voyage par un agenda chargé, un planning d’activités à faire, une check list de lieux à visiter, un inventaire de monuments à photographier ne serait ce pas de réduire celui-ci a une série de tâches quotidiennes supplémentaires? Une transposition de notre mode de vie à la va-vite sur une expérience qui demande une certaine lenteur? L’aventure, si riche et surprenante, a besoin d’espace pour naviguer, pour se dérouler sans quoi, le voyage devient une suite d’événements planifiés et prévisibles.
Dès lors, c’est sournoisement que l’affolement et l’ardeur du quotidien se glissent jusque dans les parcelles de nos vies, destinées au repos, à l’inconnu et à la spontanéité. À ces moments qui devraient servir de contraste à la routine compactée journalière.
Voyager sans but, c’est se laisser transporter au-delà du prévisible. C’est lâcher prise et faire confiance à l’inconnu qui se déploie devant soi. C’est laisser une destination, sa culture, son peuple, nous accompagner hors de nos perceptions. C’est accepter de s’ouvrir entièrement à un monde si loin de celui que l’on connait.
Voyager sans but, c’est laisser à la vie, le pouvoir de nous surprendre là où l’on s’y attendait le moins. À travers une rencontre, une conversation ou une simple balade au marché du coin.
C’est lorsque l’on crée cet espace qu’on laisse place à la spontanéité que la vie peut transformer un moment anodin en souvenir gravé pour la vie.
Pour cela, il faut être prêt à laisser à la douane, la peur de passer à côté de quelque chose, l’illusion erronée qu’il faut compacter chaque journée d’un périple pour ‘‘en profiter”.
Il faut arriver à s’asseoir en silence avec soi, respirer, ralentir, ressentir, observer, être curieux bref, vivre tout simplement.
Marcher sur une route de terre au travers d’un troupeau de vaches, discuter avec un artisan du village, savourer chaque bouché d’une tortilla a mano à peine retiré du feu, humer les épices qui chatouillent le fond de nos narines, écouter les klaxons, les cris de l’homme qui lisent l’actualité au microphone assis dans le fond d’une boîte de camionnette. Écouter les voix des mariachis, harmonisées aux aboiements des chiens errants et aux cris du vendeur de noix de coco, qui acclame pour attirer les acheteurs.
Voyager sans but, c’est voyager, tout simplement.