Élise bernier

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À force de voyager, je me suis perdue moi-même.

Depuis les six dernières années, je joue à l'oiseau migrateur. Alors que le froid se pointe le bout du nez je m'envole parcourant des milliers de kilomètres dans l'air vers des destinations qui me sont bien souvent, inconnues, et alors que la neige se transforme en eau ruisselante et que les premiers bourgeons apparaissent, c'est la peau un peu plus dorée et la tête pleine de souvenirs que je reviens au pays.




Timmée comme les saisons durant plus de 5 ans, ces deux dernières années auront été quelque peu différentes. J'ai eu l'envie de me poser, d'étudier et d'entretenir mes amitiés autrement que par Skype. J'ai eu envie d'organiser des soupers, des brunchs, de reçevoir des gens à la maison, d’avoir cet endroit que j’appellerai maison, un petit cocon, mon espace à moi. J’ai eu envie de caresser la chevelure argentée de ma grand-maman & de lui poser toutes ces questions qui me trottaient dans la tête, d'être présente pour ma famille et tout ceux que j'aime, d'être vraiment là, physiquement. 



Je ne vous dit même pas la difficulté. Certains l'appelle la dépression, d'autre le manque de sentiment d'appartenance, certains disent qu'ils sont désemparés perdus dans un monde qui ne semble plus être le leur. Pour moi, c'était un ensemble de tout ça que j'ai choisi d'appeler une épreuve. Un très, TRÈS grand défi. 




Au début, on s'isole, on se demande cinquante fois par jour ce que l'on fait ici, on trouve la vie moins excitante, moins piquante et du jour au lendemain tout nous paraît terne.



Les expéditions dans la jungle deviennent des montées et descentes du Mont-Royal qu'on a dû voir une bonne centaine de fois. Tes papilles qui, autrefois étaient surexcitées chaque jour au goût de constantes nouveautés culinaires, semblent s'être endormies.  Tes yeux qui, quelques mois plutôt, étaient constamment émerveillés, remplis d'eau devant de nouveaux paysages ou lors de récents au revoir avec des humains à peine rencontrés, paraissent aujourd'hui asséchés & tombants. Sans parler de tes mains, qui ont touché les soies du Cambodge, les murs du Machu Picchu, les gargouilles d'Indonésie, les mangues fraîchement cueillies du Costa Rica et les sculptures de bois de cerisier de la Polynésie. Ces mains qui ont été serrées maintes et maintes fois semblent manquer d'attention ces derniers temps. 



Cela fera bientôt deux ans, et je dois dire que je commence tout juste à me refaire une place dans le pays d'où je viens. C'est une épreuve immense que de revenir et à mon grand étonnement, je réalise que la routine nous offre elle aussi son lot d'apprentissages.

En effet, c'est facile d'être émerveillé devant les rizières de Tégalalang, nul besoin de se forcer à sourire lorsqu'on se fait inviter à souper par une famille thailandaise alors qu'on ne parle pas un mot du même language, c'est naturel d'avoir une larme qui coule et le coeur qui palpite devant les danses polynésiennes et la percussion vibrante qui les accompagne. Facile d'être zen dans un centre de yoga à l'autre bout du monde, lorsque personne ne nous connait et qu'on a pas de responsabilités. Mais qu'en est-il de savoir respirer profondément et de rester serein lors d'une situation de crise ou de stress?

Qu'en est-il de faire son jardin? De marcher dans un chemin que l'on a vu plusieurs fois? D'ailleurs, l'a t-on vraiment vu ou  sommes-nous passé par celui-ci en flèche en vue de notre destination finale?

C'est comme lorsqu'on prend une marche le soir et qu'on réalise à quel point la lune est magnifique & brillante. Pourtant celle-ci est toujours là, on avait simplement oublié de la voir, oublié de s'arrêter un instant pour l'admirer. Qu'est ce qu'elle est belle!

 

En voyage, c’est facile, nos sens sont amplifiés, ouverts & attentifs, mais si on entraînait ceux-ci à s'émerveiller aussi devant le connu? 




J'ai lu une phrase un jour qui prend tout son sens aujourd'hui. Elle a été écrite par l'astronaute, explorateur & psychiatre Bertrand Piccard ; On confond très souvent notre intuition, avec notre simple conditionnement.





Aujourd'hui, je sais que l'adaptation a été aussi difficile car je m'accrochais beaucoup à mes voyages. Mon conditionnement à moi, c'était de toujours partir et de ne jamais m’accorder le temps de rester. Bien sûr c’était un bonheur immense d’être sur la trotte, mais c’était si facile, si confortable de vivre ainsi.




Comment savons-nous que quelque chose n'est pas pour nous si nous ne l'avons pas tenter ne serait-ce qu'une seule fois? Cela m'aura pris presque deux ans pour me sentir en paix avec ma vie d'étudiante. Il n'y a rien de plus difficile que de se lancer à demi dans quelque chose. Fouiller à moitié dans ses notes de cours, à moitié dans ses bouquins de voyage. Garder un pied en dehors en cas de panique, focusser sur son alternative plutôt que sur le choix que l'on vient de faire et ne pas assumer entièrement les responsabilités qui découlent de la décision que l'on vient de prendre. 



Bien que le voyage est ce qui fait basculer mon coeur chaque fois, qu'à non seulement chaque fin de session je mettrai les voiles et que j'y serai fidèle jusqu'à mon dernier souffle, cela me rassure de voir qu'il est aussi possible de se conditionner à vivre dans un total inconfort pour finalement, y trouver son aise.




Car bien que pour la plupart des gens, la routine soit leur zone de confort, pour moi, c'était pire que de l'inconfort. 



N'oublions pas que parfois, il faut y mettre de l'effort, du temps, de la sueur mais qu'au final, peu importe la situation, c'est dans l'inconfort que l'on apprend le plus et que bien que le voyage soit la plus grande des écoles selon-moi, la routine peut elle aussi, nous en apprendre d’avantage sur nous-même.





Lorsqu'on revient, on n'est pas perdu, on doit juste prendre le temps de se retrouver dans un milieu qui nous est moins facilitant, moins confortable. C'est alors, lorsqu'on ralentit le rythme et que la nouveauté laisse place à davantage d'habituel, que l'ont peut réellement mettre à l'oeuvre les apprentissages incroyables que nous a proccurés le voyage. C'est maintenant, qu'on peut réellement ancrer ces enseignements dans notre quotidien et prendre le temps de bien comprendre ces derniers avant de remettre les voiles. 




Se poser, ça permet aussi de solidifier les bases, de conclure un chapitre pour en écrire un autre et tout ça, en étant plus ancré, plus mature & grandi. La vie est une douce histoire passant par différentes périodes qui se succèdent mais qui ne se ressemblent pas. Ne résistons pas, accueillons ce qui s'offre à nous, faisons une petite place pour que puisse s'écrire librement et spontanément la suite de l'histoire, soyons indulgents envers nous-mêmes, donnons-nous le temps. Le temps de nous adapter, de nous ancrer et de nous découvrir, peu importe la situation face à laquelle on se trouve.




Le voyage ne nous permet ni de nous perdre, ni de nous retrouver, il permet plutôt de grandir & participe à créer la personne que nous sommes.






Bon voyage, ou bon retour mes amis.
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